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Jauge Internationale
8mJI CATINA VI et CARRON II (Carron direct)
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mise à jour le 07/09/2017
Le 8mJI Catina VI, SUI 1, Plan V. BELTRAMI 1936, construit chez V. BELTRAMI & Co à Vernazzolla

Le confortable poste capitonné du barreur de CATINA VI le 8mJI de Fred Meyer longtemps président de la Classe.
L'essor des 8mJI sur le lac Leman, par Noël Charmillot
Longtemps délaissée sur le Léman, la série des 8mJI connaît depuis peu un développement qui nous a permis de suivre dernièrement des régates spectaculaires.
Historique
Londres en janvier et juin 1906. Or les débats avaient révélé deux points de vue opposés. Celui qui l’emporta était appuyé par une forte majorité, composée des délégués anglais, allemands et des pays scandinaves. Ceux-ci souhaitaient une jauge internationale proche de celles en usage chez eux, lesquelles privilégiaient des bateaux lourds, étroits et profonds : des « couloirs lestés » selon l’expression consacrée. A l’inverse, la Suisse, que représentait la Société Nautique de Genève, la France, l’Italie et l’Espagne préféraient une formule taxant moins lourdement des carènes plus plates, convenant mieux aux petites unités. Mais ce principe fut rejeté. Ainsi, la Jauge internationale, élaborée en 1907, favorisait le type « couloirs lestés ».
La SNG utilisait alors toujours, avec satisfaction, la jauge Godinet employée en France dès 1892. En vérité, elle fut abandonnée sept ans plus tard par les sociétés nautiques françaises. Si elle perdura à la SNG, c’est après que ce club l’eût modifiée en 1901, sur deux points importants. Elle se trouvait ainsi cantonnée au Léman, où la série des trois tonneaux de cette jauge genevoise allait, pourtant, se développer d’intéressante façon. Elle suscita la construction de yachts sur les plans d’architectes réputés : les Français Godinet et surtout Guédon, l’Italien Costaguta et même le célèbre Américain Herreshof. Il en résultait de passionnantes régates.
On comprend que la Jauge internationale n’ait pas enthousiasmé les yachtmen genevois. Mais il fallait veiller au risque d’isolement encouru par l’emploi d’une jauge proprement lémanique. Car dans les pays voisins, la formule de Londres avait donné lieu, dès sa création, à la construction d’unités nouvelles.

Timides débuts genevois
Afin d’offrir aux clubs nautiques un choix étendu, on avait admis à Londres que les séries officielles de la nouvelle formule correspondraient aux ratings de 23, 19, 15, 12 et 10 à 5 mètres.
Pour sa part la SNG s’interrogeait : lesquelles de ces classes remplaceraient au mieux ses bons bateaux de la jauge Godinet ? En tout état de cause, et afin de stimuler achats ou constructions, il fut décidé en 1910, que la Jauge internationale serait adoptée sur le Léman de façon facultative jusqu’à fin 1912, obligatoire ensuite. Mais à l’échéance de ce délai, le désintérêt apparut si flagrant que le vote de 1910 fut annulé, et la jauge Godinet maintenue. Néanmoins, la SNG admettrait la Jauge internationale dès que deux yachts d’une même série seraient annoncés au comité. Cette condition se trouva remplie en 1914 pour la classe des 7mJI.
HELLÉ III fut le premier yacht de la Jauge internationale construit pour le Léman. C’est le célèbre Fife qui a dessiné, pour M. Duval, ce 7mJI sorti en 1914 des Chantiers de constructions navales du Léman, à Coppet.
L’autre bateau de cette classe est ENDRICK, bien connu sur le lac car il y navigue toujours, mené par Liliane et Claude Béchard. Acheté d’occasion en Angleterre par H. W. Warden de Coppet, il fut expédié de Cowes en 1913. Il était né également sous le crayon de Fife et réalisé dans son chantier en 1912.
Seul Hellé III apparut dans les classements de régates à l’époque. N’ayant pas de concurrents directs, il fut admis à courir avec les 3 tonneaux, bénéficiant pour cela d’une allégeance de 12 s par mille parcouru. Il n’est plus cité dans la liste des yachts de la SNG à partir de 1917. En 1919, l’IYRU supprimait la classe des 7mJI et celle des 5mJI.
En 1925, un premier 8mJI apparaît à la SNG, c’est PHYDILÉ à C. Binet. Un deuxième est cité dès 1929 : EL CAÏD à P. Addor. PHYDILÉ devient JACKIE appartenant à M. Clyde en 1935.
Mais c’est avec la série des 6mJI que la Jauge internationale va réellement s’introduire sur le Léman. Les annuaires de la SNG en mentionnent quatre en 1927, le double deux ans plus tard et vingt-trois en 1937. La liste des yachts cette année là ne contient plus de 8mJI. JACKIE est cité comme cruiser.
On trouve pourtant quatre 8mJI dans la liste de 1948. EA II à E. Piquerez à Tourronde, EA III au même propriétaire est basé à Cannes, FOLLY dont le port d’attache est Sanary à E. Carrard, enfin GLANA construit deux ans plus tôt pour le colonel Guisan, amarré à Saint-Sulpice. Seul ce dernier yacht a fait preuve d’une activité de régate sur le Léman. Il remporta le Bol d’Or en 1949, 1950 et 1955. Devenu propriété d’H. Juillard, appelé dès lors MARIE-JOSÉE II et barré par Copponex, il gagna définitivement ce trophée en 1963. Peu après, acheté par D. Metzger, il devenait LE TIGRE, son nom actuel. Longtemps il fut l’unique 8mJI du lac.

Le yacht ELFE portait un gréement de ketch wishbone, plutôt inattendu sur 8mJI. Cette unité est sortie en 1912 du chantier Abeking & Rasmussen, sur plans d’Henry Rasmussen, pour le consul Auguste Tobias, qui l’avait baptisé TONI IX.
Amenée sur le lac de Constance en 1913, elle reçut en 1935 son gréement actuel de ketch, qui n’est pas incompatible avec la Jauge internationale. Malgré sa voilure très divisée, en principe moins efficace en course, ce yacht obtint une très honorable 19e place au classement d’ensemble des vingt-sept bateaux.
Récent essor sur le Léman
En acquérant GLANA en 1946, le colonel Guisan avait souhaité une extension de la série. A l’époque elle n’eut pas lieu mais s’est produite cinquante ans plus tard. Car ils sont huit aujourd’hui les 8mJI inscrits au Cercle de la Voile de la Société Nautique de Genève.
On trouve en effet : CATINA VI (SUI 1) de 1936 acheté en 1995 par Fred Meyer, LE TIGRE (SUI 4) de 1946 déjà cité, GEFION (SUI 7) de 1988 appartenant à Benoît de Gorski, YQUEM (SUI 8) de 1984 propriété du syndicat Yquem, ENNOLGIA (SUI 50) à Guillaume de la Borde, GITANA SIXTY (SUI 60) de 1986 au regretté baron Edmond de Rothschild, LAFAYETTE (FRA 61) de 1986 à Jacques Mazet, enfin CARRON II de 1935 acquis tout récemment par le prince Sadruddin Aga Khan.
Les succès internationaux de Philippe Durr dans cette série ont contribué à la révéler aux navigateurs lémaniques. Il fut en effet vainqueur de la Coupe du monde des 8mJI à Cannes en 1986 à bord de GITANA SIXTY et sur LAFAYETTE en 1994. A bord de ce même yacht, il réussissait une remarquable douzième place au Bol d’Or 1997.
Autre promoteur du 8mJI sur le Léman, Fred Meyer a fait restaurer avec le meilleur goût, son CATINA VI. Mais il voulait plus : réunir à Genève bon nombre de 8mJI pour une Coupe du monde prestigieuse en 1998. Déployant des trésors d’habileté, d’entregent, de ténacité et de diplomatie, il obtint un résultat sidérant : vingt-sept bateaux, venant de neuf pays.
Les années de construction des bateaux engagés s’étendaient de 1902 à 1998. On entrevoit, dès lors, les écarts importants que pouvaient présenter leur potentiel de vitesse. Mais une astucieuse répartition en quatre catégories a rendu la compétition intéressante à tous.
L’un de ces groupes comportait les quatre bateaux à gréement aurique et celui gréé en ketch. La catégorie dite « classic » réunissait les sept yachts à gréement marconi, construits au plus tard en 1960 et n’ayant pas subi d’importantes modernisations. La classe des « sira » groupait sept 8mJI de la même tranche d’âge mais dont les gréements et accastillages bénéficiaient de l’emploi de matériel récent. Enfin les huit unités, dont la plus ancienne datait de 1984, offraient à l’œil la silhouette qui les rangeait à coup sûr dans la catégorie « modern ». A l’époque, Nautisme Romand s’était fait l’écho de ces régates. Notre propos ici sera de relever d’intéressantes particularités.
Un autre yacht vaut d’être présenté ici. C’est RUNAG H19, construit au chantier Fairfield sur plans d’Alfred Mylne. La date de son lancement, 1902, révèle de façon certaine qu’il n’a pas été construit pour la Jauge internationale car elle n’était pas encore née. Il fut jaugé comme 8mJI plus tard. Malgré sa voilure de cotre franc, d’aspect archaïque à côté des marconis, mais habilement mené, il s’est montré étonnamment rapide. Non seulement il a nettement gagné dans sa catégorie des gréements traditionnels, mais de plus, au classement général, il a pris une très flatteuse treizième place.
La Coupe du monde des 8mJI offrait en prime à ses observateurs, une véritable rétrospective des signes distinctifs qu’arborent dans leurs grand-voiles les yachts des jauges et séries internationales. En 1907, l’IYRU fraîchement constituée, avait choisi de désigner par des lettres les différentes séries de sa Jauge internationale. La classe des 8mJI s’est vue attribuer le « H ». Quatre des yachts engagés portaient ce type d’indication.
A l’origine de ce récent essor lémanique, on trouve une étonnante conjonction. La restauration de CATINA VI pour Fred Meyer, le choix de Jacques Mazet de baser au Port-Noir son LAFAYETTE et la victoire de ce même yacht, barré par Philippe Durr, à la Coupe d’Europe courue à Travemünde en 1962. Dans ce même élan fut la décision de disputer à Genève la Coupe du monde de 1998. Un effet de cette vitalité est l’achat récent de CARRON II par le prince Sadruddin Aga Khan.
Et ce n’est pas tout, car à Rochester, aux Etats-Unis, s’est couru en août 1999 le Championnat du monde des 8mJI. Le yacht genevois GEFION qui a fait le déplacement, était l’un des favoris de l’épreuve. Sa présence n’a pu qu’attirer l’attention sur la flotte lémanique, dont deux ou trois unités vont prendre part, en septembre aux Régates Royales de Cannes. De plus on peut penser à une prochaine compétition importante courue à Genève. C’est donc une forte impulsion qui anime aujourd’hui sur le Léman, la série des 8mJI, laquelle, jusqu’il y a peu, avait été nettement méconnue.

Noël Charmillot passionné du lac, photographe, jaugeur, navigateur et marin, et plus récemment maquettiste de barques. Ici lors de l'entretien en Mairie de Bellevue en 2012 avec une de ses photographies, la Rade de Genève en hiver, prise en 1986.
Cet article est extrait du site du magazine helvétique NAUTISME ROMAND n° 204, magazine aujourd'hui disparu
Galerie


















Le 8mJI Carron II, K 2, plan William Fife 1934, construit chez Fife & Sons à Fairlie

Un coursier de rêve et d’élégance, par Claudia Cerez
A bord de CARRON II, le 8mJI du Prince Sadruddin Aga Khan, j’ai vu s’animer les extraordinaires photographies des Beken of Cowes. Ce samedi de mai, ai-je rêvé?
Les prestigieux artistes ont photographié CARRON II dans les années 1930 et leurs images ont largement contribué à la restauration du superbe coursier.
Lorsque j’arrive devant le voilier, les bronzes reluisent, les vernis miroitent et les yeux s’éblouissent de tant d’harmonie passionnément entretenue.
Le sourire éclatant de Florence Casanova m’accueille. Elle a débâché, comme tous les jours, CARRON II et comme tous les jours elle a essuyé la condensation à la peau de daim, poli les bronzes qui s’obstinent à noicir. « Je suis très fière de travailler sur ce bateau, dit-elle les yeux remplis d’étoiles, c’est un grand honneur. J’essaie de le rendre aussi beau qu’il le mérite et à l’image de son propriétaire ». Tout en me racontant sa passion pour son travail, son amour des régates où l’esprit d’équipe et de compétition la galvanise, elle se bat avec le guidon nouvellement installé qui refuse de hisser les couleurs de Prince, s’emmêlant les ficelles dans les haubans et les barres de flèche. Patiente et obstinée, elle vaincra. Pas longtemps: à peine sorti du port, l’énergique Michel Friederich dit Minou hisse la grand-voile et crac, le guidon casse !
Photographie Jacques Vapillon
Comme la plupart des équipiers de CARRON II, la Cherbourgeoise qui rêvait de vivre en Suisse depuis des vacances de ski enfantines, a navigué à bord de GITANA, le 8mJI du Baron Edmond de Rotschild. Sur CARRON II, sept équipiers y compris Prince à la barre et trois postes à l’avant dont une particularité: ce bateau, construit pour les mers du Nord, a son capot avant à l’arrière du mât pour éviter d’embarquer l’eau, d’où l’équipier se trouve sous le pont – seule sa tête est visible – ce qui complique notamment la manœuvre de spi, surtout pour le monter. Lorsque Prince nous rejoint, tout est en place pour un petit match-racing avec CATINA VI, le 8mJI de Fred Meier. Phil Durr, le tacticien et régleur de grand-voile, donne ses ordres, les équipiers exécutent, chacun est attentif et les airs sont petits : « tout le monde au vent! ».

L’engagement du Prince pour l’environnement
Le calme d’Eole permet au Prince Sadruddin Aga Khan de me raconter son engagement incessant pour l’environnement : « Après mes études, j’ai travaillé de longues années à l’ONU – en tant que Haut Commissaire pour les Réfugiés, notamment (n.d.l.r) – et j’ai été le témoin de la déforestation et de la désertification. J’ai pris conscience de l’importance de l’énergie ». Prince créa la Fondation de Bellerive en 1977. Une de ses premières activités fut de lutter contre le déboisement en amenant, notamment, en Afrique des fourneaux inventés par des Suisses qui consomment beaucoup moins de bois; ils sont constamment améliorés grâce aux locaux. « J’ai beaucoup travaillé avec les femmes africaines, ells savent ce dont elles ont besoin. De la même façon, pour lutter contre le braconnage, si les locaux ne comprennent pas qu’il s’agit de protéger faune et flore pour attirer les touristes, donc l’argent, on n’arrive à rien. C’est l’avantage de notre petite équipe: nous finançons et encourageons les autres, nous donnons aux locaux les moyens. Nous sommes libres, sans contraintes politiques. »
Alp Action, sous l’égide de la Fondation de Bellerive, fonctionne de la même manière: « les Alpes sont la plaque tournante de nombreuses civilisations. La plupart des gens vont skier, puis ils s’éclatent en disco et ne savent même pas où ils sont ! Nous voulons contribuer à la sauvegarde du patrimoine naturel et culturel des Alpes. L’intéressant est de donner des idées aux autres, de créer des liens entre secteurs privés et communautés de campagne, faire la coordination et l’intermédiaire entre hommes de bonne volonté et projets concrets. Les communes ou associations proposent, nous faisons contrôler par nos consultants, puis nous cherchons les sponsors. » C’est ainsi que plus de 140 projets ont vu le jour, dont la réintroduction en France des gypaètes barbus et le sentier des Alpes en Suisse. Le prochain projet, dédié à Yehudi Menuhin, se situe à Launen près de Gstaad: il s’agit d’assainir le marais, étouffé par les broussailles. Un concert sera dirigé par le fils du célèbre violoniste, Jeremy, le 26 août au festival de Gstaad pour soutenir cette action.
L’acajou du plat bord flirte avec le Léman
Eole se réveille, Prince reprend sa place à la barre. On observe CATINA VI. « Etarque la voile, Robert ! » commande Phil Durr. « Ouais » répond Robert Favre, la tête déjà disparue sous le pont. Les ordres se succèdent, précis et toujours courtois. L’acajou du plat bord flirte avec le Léman. « Borde la grand-voile ». « Je borde » répond François Germain, le remplaçant de l’équipe. « On a décollé ! » Un regard sur CATINA VI. « On est plus vite ! ».
L’équipage se rode, CARRON II n’est à l’eau que depuis l’an dernier et il est difficile de réunir tout le monde à chaque entraînement. Ce jour-là, il manque Nicolas Berthoud dit « Canard » et Arnaud de Marignac. Il s’agit de s’entraîner : les championnats du monde sont à Porto Santo Stefano du 12 au 17 juin 2000 ! Prince est confiant: « Au championnat d’Europe à La Trinité, c’étaient les premières régates du bateau, il y a eu des risées à 30 nœuds, ce qui est beaucoup pour un vieux bateau. CARRON a très bien supporté ! ». « On empanne » crie Phil. « Paré ». Le spi est hissé. Les manœuvres s’enchaînent, les empannages se suivent, Florence, Minou et Robert s’activent sur le pont, Phil, François et Jérôme dans le cockpit, aux winches. CATINA VI est « sous observation ». Et moi je regarde, fascinée. Le temps s’arrête, le monde devient noir et blanc avec toutes les nuances de gris, ces gris soyeux, veloutés ou d’acier qui font vibrer l’espace, rêver le poète et voler les coursiers des mers. Frank et Keith Beken photographient …
Cet article est extrait du site du magazine helvétique NAUTISME ROMAND n° 209, magazine aujourd'hui disparu.
